Le SNU, dérive d’Etat
4 pages FERC
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Dans un contexte international plombé par des conflits armés qui s’enlisent jusqu’aux portes de l’Europe, par la résurgence des économies de guerre, le président Macron veut à toutes forces imposer à tous les jeunes d’une classe d’âge l’engagement obligatoire dans le service national universel (SNU). Le SNU relève du Code de la Défense nationale, comme l’ancien service militaire qui n’a jamais été abrogé mais seulement « suspendu » en 1997. Le SNU s’adresse à l’ensemble d’une classe d’âge française de 15 à 17 ans. Aujourd’hui il est basé sur des formes variables de volontariat. Demain il est destiné à être obligatoire, en théorie en 2026 (fin du second quinquennat Macron).
Le SNU participe du « réarmement civique » (vœux présidentiels 2024). Il est gratuit, présenté comme un grand moment d’engagement républicain. L’uniforme y est remplacé par une « tenue ». Son programme est ponctué par le salut quotidien aux couleurs avec un mode d’organisation qui reprend celui des casernes. Les filles y sont séparées des garçons. Depuis la rentrée scolaire 2023 il représente une option possible au stage en classe de seconde (17 au 28 juin 2024) rendu obligatoire dans une entreprise, une association ou un service public. En 2019, le secrétaire d’État Attal a lancé le SNU, enjoignant les associations d’éducation populaire à s’y investir pour « opérer leur mutation » (sic). En 2024, devenu Premier ministre, il est chargé de parachever ce qui ressemble à une colo d’État où les jeunes de nationalité française – encore mineurs – auraient obligation d’engagement.
LE SNU, QU’EST-CE QUE C’EST ?
Il s’adresse, dans sa phase actuelle de montée en puissance à des jeunes dès la classe de seconde ou en fin d’apprentissage. Il se déroule sur deux phases.
Phase 1 : séjour de cohésion
Il se déroule sur 12 jours des vacances scolaires, ou sur temps scolaire pour les classes volontaires « engagées » de seconde. Il se déroule en internat, en principe dans un département limitrophe à celui de la résidence habituelle. Ce « séjour de cohésion et de mission d’intérêt général » obéit à 4 objectifs (valeurs républicaines, cohésion nationale, culture de l’engagement, insertion sociale et professionnelle) avec 4 thèmes : sport et olympisme, environnement, mémoire et patrimoine, résilience et prévention des risques.
Phase 2 : temps de service à la Nation ou mission d’intérêt général (MIG).
Il dure 12 jours minimum ou 84 h réparties sur plusieurs mois dans des associations, des collectivités territoriales, des services de L’État, des établissements ou institutions (armées, police, gendarmerie, sécurité civile). Les formes de la MIG évoluent depuis la création du SNU. Cette phase 2 s’apparente au Service civique qui est un autre dispositif qui relève lui aussi du Code de la Défense nationale. Le jeune « volontaire » en service civique est indemnisé. Il n’est pas salarié. Il ne relève pas du Code du Travail. Il n’a aucun droit syndical. Le jeune en phase 2 du SNU sera dans la même situation : immergé dans un milieu de travail qui n’en est pas un au nom d’un engagement contraint.
ENGAGEZ VOUS ! RENGAGEZ VOUS !
Dans son principe le SNU dit servir la culture de l’engagement. Sa généralisation ignorerait qu’un large pan des jeunes se construit à 15-17 ans en prise d’autonomie face au modèle familial et aux cadres établis. Imposer la fonction idéologique du SNU à toutes et tous dans cette phase serait sans effet positif voire contreproductif. Inscrit dans la Défense nationale le SNU n’accueille que des jeunes mineurs de nationalité française, sans prévoir ni clauses de handicaps, ni objection de conscience (au prétexte qu’il n’y a pas de maniement d’armes au programme).
Le réarmement moral et civique voulu par le SNU a une autre fonction : redistribuer et modifier des rôles éducatifs. Les contenus de l’éducation morale et civique dispensée sur temps scolaire vont forcément évoluer. Le SNU semble oublier que l’École aborde déjà plusieurs des thèmes qu’il reprend ! La pédagogie dominante en phase 1 du SNU est basée sur la discipline. Les éléments de langage de l’éducation populaire et de l’exercice de la citoyenneté sont brouillés. Le SNU ouvre un marché public aux opérateurs de l’éducation populaire qui s’y sont engouffrés. Certains d’entre eux, rejoignant en tant que patrons de l’économie sociale et solidaire les schémas du néo capitalisme, ont créé un consortium, pour capter les finances (Léo Lagrange, UCPA, VVF, UFCV, PEP, associations territoriales des Francas, de la Ligue de l’enseignement…). On est en plein paradoxe d’un roman d’Orwell où la Guerre c’est la Paix, l’esprit critique c’est obéir, s’émanciper c’est se conformer. Comment le consortium peut-il croire sans sourciller qu’un vernis d’éducation populaire peut contrarier une volonté de caserne ?
L’OPACITÉ, LA FONCTION IDÉOLOGIQUE, LES CONSÉQUENCES SUR LES MÉTIERS
Tout le chiffrage du SNU fait l’objet de controverses. Le SNU a surtout fait recette à ses débuts auprès de milieux sociaux qui lui sont favorables (familles de policiers, gendarmes, pompiers…). Les jeunes issus de ces milieux représentent 32% des jeunes « engagé·e·s » contre 2% de la population. Mais on voit se répandre aussi bien dans l’enseignement public que privé un certain attrait pour le séjour gratuit de cohésion. Il représente un moment d’expérience et un rite un peu similaire à ce que pouvait représenter la vie de caserne pour certains jeunes hommes du temps du service militaire. Pour certains parents « mettre un enfant au SNU » c’est gratuit et au moins il n’est pas livré à lui-même alors qu’il n’y a plus de cours. Pour certains jeunes c’est l’occasion de vivre une expérience hors cercle familial au sein d’une même classe d’âge. Il y a un esprit « conscrits ».
Mais le SNU c’est aussi une série de bugs en tous genres sur les transports, des punitions collectives humiliantes ici ou là, des dérives comportementales répréhensibles. La presse s’en est fait écho. Les modules plus positifs du SNU (secourisme, bilans et principes de santé, préparation au permis de conduire…) ne sont pas l’apanage du dispositif puisqu’on les dispense ou on pourrait les envisager au collège et lycée. Mais dérives ou pas, vertus ou pas, la volonté gouvernementale est de justifier le SNU car il a d’abord une fonction idéologique. Le SNU est géré dans son fonctionnement (inscriptions et communication) par des starts up qui représentent un « pognon dingue ». Si on y ajoute les influenceurs, payés eux aussi, on double le budget national annuel du SNU directement consacré aux séjours.
Une forme juridique bâclée
Les séjours de cohésion du SNU – alors qu’ils relèvent du Code de la Défense nationale – sont organisés sur la base de la législation des accueils collectifs de mineurs. Les services de l’État ex jeunesse et sports devenus « jeunesse engagement sports » (DRAJES/SDJES) valident ces séjours en étant juges et partie. C’est une contradiction et un abus législatif autant qu’éducatif. L’encadrement est dérogatoire à la législation des séjours type colo. Les qualifications de l’encadrement sont aléatoires parfois. Le ministère (MENJ) est conscient du problème et réfléchit à un nouveau statut à expérimenter dans la phase de généralisation. Le SNU est une usine à gaz hybride où la vie de caserne s’apparente à un scoutisme bas de gamme pour des emplois précaires… moins mal payés qu’en colos !
Un salariat abusé
Lors des séjours de cohésion le statut de l’encadrement est hétéroclite : volontariat enseignant, militaire ou pompier, parfois des bénévoles divers. Tout ce personnel est précaire. Il est même placé sur un « contrat d’engagement éducatif » dérogatoire au Code du Travail (25€ la journée !). Cette précarité est cependant payée le double d’un salaire d’animateur. Moralité : le SNU aggrave les problèmes de recrutement de l’encadrement des accueils collectifs de mineurs. Encadrer 12 jours de SNU payés 1 300€ c’est mieux que 20 jours de colos à 500€. En dérèglementant une législation du travail déjà dégradée, l’État bricole. Il témoigne d’une forme de dédain à l’égard des animateurs qui ne sont plus des professionnels mais des vacataires « achetés ».
Un corps d’enseignants de la jeunesse et des sports détourné de sa raison d’être statutaire
Les inspecteurs de la jeunesse et des sports se retrouvent le plus souvent chefs de projet du SNU au niveau départemental. Mais ils ne sont pas assez nombreux. Depuis la mise en place du SNU le corps des conseillers d’éducation populaire et de jeunesse (CEPJ), corps assimilé aux professeurs du second degré, a été renouvelé à près de 40% pour en particulier accompagner le SNU. Ces nouveaux collègues ont des origines professionnelles diverses. Ils bénéficient d’éléments de rémunération et de perspectives de carrières plus favorables que les autres. La mutation du corps des CEPJ en corps d’organisateurs de séjours du SNU est un détournement de sens voulu au nom d’un dogme idéologique où l’État s’assoit sur les statuts enseignants et là aussi sur les démarches d’éducation populaire
QUEL COÛT ? QUELS LOCAUX ?
Les coûts du SNU ne cessent de fluctuer. En 2023 les 12 jours du séjour de cohésion tournaient légèrement autour de 1 500 €, variables par département. En 2024 l’objectif est de réduire leur coût autour de 1 100€ en limitant les déplacements. Cependant les coûts de communication et de gestion font plus que doubler le budget global. En termes de communication le gouvernement veut faire croire que la généralisation du SNU à 800 000 jeunes/an ne s’élèverait pas à 8 milliards/an mais plutôt à 2 milliards/an voire moins. La vraie question n’est pas là. L’École manque de moyens. Les associations d’éducation populaire manquent de moyens. Il faut construire d’autres parcours citoyens pour les différentes jeunesses et toutes les jeunesses du pays et y réaffirmer la place de l’Ecole, des associations, de jeunesse et sports.
Les bâtiments associatifs mis bout à bout ne pourront pas accueillir 800 000 jeunes/an. Le gouvernement cherche donc des expédients pour étaler les séjours. Certains mouvements lorgnent sur la généralisation pour réorienter leur politique immobilière. Le SNU fait rêver les investisseurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), surtout ceux regroupés en consortium.
RÉARMEMENT CIVIQUE OU RÉARMEMENT DU VIDE ?
Le SNU participerait du renforcement de « la force morale de notre pays ». Certains éléments de novlangue rejoignent des vocabulaires du temps de la francisque et du travail/famille/patrie. Devenu obligatoire le SNU favorisera-t-il mieux la mixité sociale ? On assignait jusqu’à présent la mixité sociale à l’École publique. Mais la mixité sociale c’est aussi l’aménagement du territoire et les services publics. Si cette mixité tend à disparaître dans certains endroits est-ce que le SNU va la restaurer ? En 12 jours ? Ou 84 heures d’engagement obligatoire ?
La pauvreté gagne chaque année un peu plus la population. Les jeunes en constituent une part accrue. Parmi les plus grandes formes de précarité vérifiables chez les jeunes au moment de la prise d’autonomie on a toute la part alimentaire et le logement. Parmi les étudiant∙e·s 77% ont un reste à vivre de 100 euros par mois, soit moins de 3.27€ par jour. Chez les lycéens, public ciblé par le SNU, ces situations de précarité touchent les jeunes boursiers et tous ceux qui, sans réseaux professionnels, amicaux, familiaux, ne trouveront pas de stage rendu obligatoire en seconde et seront donc contraints de faire le SNU là où les plus privilégiés auront le choix. La tenue uniformisée n’efface en rien les inégalités qui se logent bien autre part. En quoi les deux phases du SNU apportent-elles un réarmement quelconque ? Tenue à l’École, tenue au SNU tout cela sonne le creux. C’est de l’habillage de pensée dans un contexte d’escalade guerrière.
LE SNU : UN AUTRE MOYEN D’AFFAIBLIR L’ÉCOLE ET LA CAPACITÉ D’ESPRIT CRITIQUE
Dans le SNU la journée débute à 6H30 ponctuée par le salut du drapeau et les paroles martiales de la Marseillaise, le tout au garde à vous en cohortes de chambrées. Le contenu des journées est largement déterminé par les organisateurs du séjour à qui a été attribué le marché. Il doit cependant respecter le cahier des charges. Le téléphone potable est interdit en journée. Le droit d’appeler la famille est limité et contrôlé.
Ce que ne dit pas le SNU c’est que nombre de modules sont déjà dispensées sur temps scolaire : activités physiques, citoyenneté et institutions, culture et patrimoine, EMC. Quel est le projet : les faire sortir à terme des programmes ? Replier encore et toujours sur des savoirs dits fondamentaux en réduisant les moyens alors que l’École a la double fonction de transmettre des savoirs et de préparer des citoyens.
Dans le budget de l’État cela devient clair : le SNU instrumentalise les associations par des passages obligés pour aller aux subventions. En outre, au nom de la lutte contre les séparatismes, la liberté associative de la loi 1901 est rognée. Le contrat d’engagement républicain, que certaines collectivités et préfets appliquent avec zèle, en est une démonstration. Le gouvernement a besoin de sous-traitance associative et de salariés précaires pour servir un bricolage idéologique sans vertu éducatrice réelle.
POURQUOI IL FAUT ABROGER LE SNU ET CONSTRUIRE DE VÉRITABLES PARCOURS CITOYENS POUR LE REMPLACER
Confirmer l’éducation (morale) et civique à l’École
Le SNU est en décalage complet avec le travail progressif d’éducation civique (l’éducation morale n’est pas du même ressort) qui s’étage tout au long des cycles primaire et secondaire. Il y a effectivement une fenêtre particulière en classe de seconde permettant des mises en œuvre pédagogiques particulières mais elles doivent être définies et trouver leur place dans les programmes. Le SNU est inapproprié et il n’a pas sa place dans le temps scolaire. Imposer un moment d’activité relevant du Code de la Défense dans un cursus relevant du Code de l’Éducation est incongru et dangereux pour la liberté pédagogique. En quoi un mélange des genres est-il au service de la construction citoyenne ?
Conforter l’Education tout au long de la vie, l’éducation populaire, l’extra et le périscolaire.
Le SNU est destiné à être une pompe à finances pour les associations, pour obtenir des subventions. La création du consortium associatif autour du SNU pour rénover ou aménager des locaux illustre les grandes manœuvres immobilières. Elles ne se préoccupent pas des complémentarités éducatives. Elles ne s’embarrassent pas non plus d’améliorer le statut du salariat, ses qualifications et ses conditions de travail. Le SNU abrogé, un nouvel espace pourrait s’ouvrir pour construire dans la durée, sur la base par exemple de classes de découvertes, des coopérations éducatives entre les mouvements complémentaires à l’École et associations agréées, dans un cadre respectueux des démarches éducatives émancipatrices et de la laïcité. Seule cette assise peut donner des perspectives de sécurisation d’emploi et de qualifications dans les conventions collectives aujourd’hui vues au rabais.
Consolider la dimension éducatrice des personnels de la jeunesse et des sports
Le SNU est en train de détourner les missions de la jeunesse et des sports transformant un ministère issu de l’humanisme et des principes d’émancipation en un ministère d’encadrement législatif au service d’un engagement pernicieux dont ils sont devenus les supplétifs. Ce ministère doit retrouver toute sa place dans les politiques publiques éducatives tout au long de la vie et trouver sa légitimité dans de nouveaux projets éducatifs de territoires concertés avec tous les acteurs.
POUR LA FERC-CGT LE SNU C’EST NON…
- NON À UN CHOIX BUDGÉTAIRE INEFFICACE SOCIALEMENT, AUX CONSÉQUENCES NÉFASTES POUR L’ÉDUCATION ET LES ASSOCIATIONS
- NON AU SNU ET À SA GÉNÉRALISATION
- NON À UNE TROMPERIE D’ÉTAT VOULANT IMPOSER UN FORMATAGE À TOUTE UNE CLASSE D’ÂGE VIA UNE SOUS-TRAITANCE ASSOCIATIVE DE MARCHÉ PUBLIC
- NON AU RETOUR DU SERVICE NATIONAL SUR TEMPS SCOLAIRE ET EXTRA SCOLAIRE
POUR LA FERC-CGT UN VRAI PARCOURS EDUCATIF A LA CITOYENNETE C’EST OUI
- OUI AUX MOYENS POUR UNE ÉCOLE QUI FAIT VIVRE LA DÉMOCRATIE COLLÉGIENNE ET LYCÉENNE ET AU MAINTIEN D’UNE ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ
- OUI À DE NOUVEAUX PARCOURS CITOYENS DANS ET HORS TEMPS SCOLAIRE, COHÉRENTS ET LAïQUES POUR TOUS LES JEUNES, CONCERTÉS AVEC L’ENSEMBLE DES ACTEURS ET LES JEUNES EUX-MÊMES
- OUI À LA RELANCE DE L’ÉDUCATION TOUT AU LONG DE LA VIE, ET UNE PROGRAMMATION DE MOYENS POUR LA VIE ASSOCIATIVE, L’AMÉLIORATION DE SES EMPLOIS, DE SES SALAIRES ET DE SES DROITS A LA FORMATION
- OUI À LA RESTAURATION D’UN MINISTÈRE ÉDUCATIF DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS QUI NE SOIT PLUS UN DONNEUR D’ORDRES MAIS SOUTIEN ET ACCOMPAGNATEUR DES PRATIQUES ÉDUCATRICES ET ÉMANCIPATRICES